La Bibliothèque Nationale de France possède l’un des plus riches et des plus intéressant fond de partitions et traités consacrés à la mandoline dans la seconde moitié du 18ème siècle. Celui-ci est le témoin de la vogue que connut cet instrument en France, et tout particulièrement à Paris entre les années 1750 et 1790. Quelles furent les raisons de ce succès ? Les réponses se trouvent certainement en une conjonction de différents éléments.
Tout d’abord, le 18ème siècle connut l’arrivée à Paris de nombreuses troupes de théâtre et de musiciens italiens qui se produisirent à l’occasion des Foires (Saint Germain et Saint Laurent) et qui favorisèrent l’« intrusion » et le développement d’un nouveau style en France. En 1752, les représentations de l’opéra buffa de Pergolèse « la servante maitresse » déclenchèrent la « guerre des gouts » qui vit s’affronter les défenseur du gout français face aux partisans du nouveau gout italien.
Dans le même temps, la mandoline connaissait un grand succès en Italie (en particulier à Naples) ou elle était utilisée en tant qu’instrument d’accompagnement de la voix lors de sérénades : « Cet instrument est très brillant, il est charmant la nuit pour exprimer le douloureux martire des amans sous les fenêtres d’une maîtresse. En Italie et en Espagne on en entend la nuit que des guitares et des mandolines jouer des notturno » (préface de la méthode de Corrette). Cette tradition n’échappa pas à d’illustres compositeurs tels que Mozart, Grétry, ou encore Paisiello qui l’utilisèrent sous cet aspect dans leurs opéras respectifs Don Giovanni (1787), L’Amant Jaloux (1778) et Le Barbier de Séville (1782). Mais la mandoline était aussi utilisée dans le même temps comme instrument soliste et virtuose, ce dont témoignent les nombreux concertis écrits par des compositeurs napolitains parmi lesquels Carlo Cecere, Emanuele Barbella, Nicolo Conforto.
La Mandoline Baroque (Extraits)
« Michel Corrette- Sonate en Do majeur – 3. Menuets I & II »
Prise de so et mastering: Francis Rotstein
En France, des concerts en direction d’un nouveau public apparurent dans le cadre des Salons ou des « associations » développant, notamment chez la bourgeoisie, un gout pour un répertoire nouveau et pour des instruments ou formations de musique de chambre adaptés à ces nouveaux lieux plus intimes. Il faut aussi à cela associer la recherche d’un certain exotisme avec un intérêt pour les instruments rares comme la mandoline, la guitare, la musette ou la vielle à roues par exemple. On peut citer parmi ces nouvelles structures le Concert Spirituel, fondé à Paris en 1725 par Anne Danican Philidor, dont les activités devaient se poursuivre au palais des tuileries jusqu’en 1790 et ou le premier mandoliniste à se produire fut Carlo Sodi en 1750, suivi de Giovanni Cifolelli et Gabriele Leone en Avril et Juin 1760.
Enfin, le succès du Style Galant (ou « rococo »), dans sa quête d’une musique plus divertissante, plus « simple », privilégiant l’art de l’ornement à celui du développement cristallisa les influences et les éléments qui permirent à la mandoline de s’inscrire, au sein du répertoire savant, dans ce nouveau paysage musical.
Cet engouement pour la mandoline et pour la musique italienne attira en France et à Paris de nombreux maitres de mandoline italiens qui vinrent y jouer leurs compositions mais aussi enseigner l’instrument aux jeunes gens de la noblesse (en particulier les jeunes filles).
Les sonates figurants sur ce disque font toutes parties du fond de la BNF et illustrent cet « âge d’or parisien » de la mandoline.
Le plus connu des compositeurs et sans aucun doute Michel Corrette (1707-1795), qui fit paraitre en 1772 une méthode consacrée à l’étude de la mandoline au sein de laquelle figure cette unique sonate en do majeur. Les trois mouvements sont le reflet de la synthèse des gouts français et italiens opérée par Corrette, « mariage » caractéristique du style Galant (en tant que chef d’orchestre, il avait dirigé de nombreux ouvrages de compositeurs italiens). La recherche de lignes mélodiques chantantes, courtes et « décoratives » est contrebalancée par l’utilisation d’écritures en imitation qui confèrent à la partie de basse un rôle concertant. On note aussi l’utilisation d’une écriture idiomatique de la mandoline faite de notes répétées et d’accords brisés. La simplicité de la ligne mélodique permet l’exécution de diminutions qui viennent orner et « décorer » celle-ci. Dans la préface de cet ouvrage, Corrette décrit ce qui était l’usage concernant l’exécution de ces sonates pour mandoline et basse : « Il faut remarquer que la mandoline et le cistre ne sont jamais mieux accompagnées que par le clavecin et la viole d’Orphée ». à propos de la réalisation de la partie de basse continue au clavecin, il est intéressant de noter l’existence de pièces pour clavecin solo paraphrasant et imitant le jeu de la mandoline, comme par exemple La Mandoline de Antoine Forqueray (extrait de la première suite des Pièces de viole mises en pièces de clavecin, Paris, 1747) ou bien La Bandoline de François Couperin (extrait du Cinquième Ordre, 1713). Il y a, en effet, une similitude et une parenté chez ces instruments dans le mode de mise en vibration des cordes pincées par le plectre pour la mandoline, par les plumes des sautereaux pour le clavecin. La réalisation des parties de basse (pour l’essentiel non chiffrées) dans cet enregistrements est inspirée du caractère instrumental et stylistique de la mandoline en s’adaptant à celui-ci pour dialoguer parfois de manière concertante.
Carlo Cecere (1706-1761) : Les trois mouvements de son Divertimento offrent une large place à l’invention mélodique (en particulier le second mouvement aux allures d’aria vocale). L’utilisation d’un phrasé souvent « binaire » (motifs mélodiques se répétant en « écho ») favorise la réalisation de diminutions qui enrichissent de manière virtuose le discours musical.
Francesco Maio (1732-1770) : L’utilisation de la tonalité de fa majeur confère à cette sonate un caractère plus grave et traduit la quête d’une plus grande profondeur expressive. Le mouvement lent, dont la mélodie s’appuie et se développe sur des arpèges harmoniques n’est pas sans rappeler l’écriture d’un Vivaldi.
La sonate anonyme (dont les trois courts mouvements s’enchainent) est plus proche dans son écriture nerveuse et virtuose du style baroque italien que du style Galant.
Gabriele Leone (v. 1725-v. 1790) : Il est certainement le plus illustre des mandolinistes de son époque. Il fut maitre de mandoline du duc de Chartres (futur Philippe égalité). Il se produisit à plusieurs reprises au Concert Spirituel et fit imprimer en 1768 sa méthode qui reste l’ouvrage de référence le plus complet en ce qui concerne la technique instrumentale de l’époque. La première sonate du premier livre est une des sonates les plus simples des douze écrites par Leone. Pourtant, elle possède et préfigure ce qui caractérisera la signature du compositeur : une virtuosité instrumentale, des mouvements lents et expressifs, une recherche d’effets contrastés souvent amusants.
Tommaso Prota (v. 1725-après 1768) : Cette sonate en sol majeur comporte un mouvement central (en sol mineur) dont l’introduction (qui se répétera pour conclure) en rythme pointée, solennelle et dramatique n’est pas sans évoquer la tradition française. On note également dans ce même mouvement central la présence de passages ou la mandoline joue seule à la manière de cadences.
Giovanni Battista Gervasio (1725-1785) : mandoliniste virtuose, il se produit en 1784 au Concert spirituel et fait publier en 1767 une Méthode très facile pour apprendre à jouer de la mandoline à quatre cordes, instruments fait pour les dames. En 1778, il fait paraitre un recueil de 6 sonates pour mandoline et basse. La 3ème sonate (en ré majeur) porte la dédicace « à son altesse Royale princesse héritière de toutes les prusses ». La présence d’un menuet (al gusto italiano) et d’une gavotte traduit et illustre la réunion des gouts français et italiens.
Pietro Denis (actif 1730-1780) : musicien français, il a italianisé son prénom (Pierre). Il apprend la mandoline auprès des maîtres italiens et publie une méthode en trois parties. Cette sonate en ré majeur est la première d’un recueil de 6 sonates dédiées à Monsieur le Marquis de Choiseul Meuse. Les trois mouvements incarnent à la perfection l’équilibre entre virtuosité et expressivité.